Dans le cadre du Forum sur la chanson québécoise organisé par le CALQ (les 4 et 5 février dernier), on a eu droit à des propos d’artistes témoignant parfois d’une écoeurantite aiguë envers un système qui semble nettement désavantageux pour eux; parfois d’une forte incompréhension de la structure industrielle à laquelle ils appartiennent. En revanche, plusieurs incompréhensions ont aussi été remarquées chez certains professionnels industriels, quant à la nouvelle réalité du numérique.
Dans un atelier sur La chanson québécoise à l’ère numérique, Pierre-Daniel Rheault, Directeur général de la SPACQ, a résumé vite fait sa pensée quant à l’outil juridique Creative Commons (lire Creative Commons 101), en disant à tort, selon moi : «si vous êtes Creative Commons, vous ne pouvez pas être membre de la SODRAC ou de la SOCAN». On a tôt fait de lui rappeler que le Creative Commons est effectivement incompatible avec la SODRAC (qui s’occupe exclusivement de monnayer le droit de reproduire l’oeuvre derrière une chanson), mais peut être compatible avec la SOCAN (qui s’occupe de monnayer sa diffusion, sa télécommunication publique), tout dépendant du type de la licence choisie.
Voici un exemple vivant : Misteur Valaire, membre en règle de la SOCAN, propose une licence d’utilisation de ses œuvres sous le Creative Commons (de type BY-NC-SA) permettant à la collectivité de partager gratuitement ses œuvres et de les remixer, tout en réservant à Misteur Valaire le droit exclusif d’exploiter commercialement ses œuvres. Ceci dit, l’artiste qui remixe les oeuvres de Misteur Valaire peut le faire par pur plaisir, sans aucune permission à demander. Il peut aussi la partager et la diffuser à des fins non-commerciales. Et si l’envie lui vient de vouloir commercialiser son œuvre dérivée de celle de Misteur Valaire, alors ce remixeur sera contraint de contacter Misteur Valaire et de s’entendre sur un partage de revenus. C’est assez simple comme concept. En plus, ça permette la création d’une culture à venir fondée sur la culture précédente. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
De fait, lors du choix d’une licence Creative Commons, si un auteur et/ou compositeur d’une chanson choisit de permettre son partage (reproduction) et son remixage (adaptation), sans toutefois permettre son exploitation commerciale (monétisation), alors il lui est encore possible de dire à la SOCAN : «Prends svp mon droit de faire du CA$H avec la diffusion de mon œuvre, perçois ses revenus en mon nom et repaye-moi le plus justement possible». On peut donc logiquement céder à la SOCAN ce qui nous appartient encore. Ça ne prend pas un avocat pour comprendre ça…
Du copyright qui permet le partage
Bref, Creative Commons propose du droit d’auteur à la carte; on peut s’en servir pour faire du copyright permettant le partage, tout comme on peut décider de céder son oeuvre à la collectivité et vivre d’amour et d’eau fraîche. Mais entre le noir et le blanc, il y a plein de teintes de gris. L’outil permettant de choisir la teinte qui convient à un créateur s’appelle Creative Commons (voir formulaire de création de licence).

Il faut se rappeler que Creative Commons a été inventé pour permettre aux ayants droit de demain de pouvoir créer, en totalité ou en partie, sur une base de culture existante libérée d’un droit d’auteur rigide et contraignant, voire plus avantageux pour le contentieux d’une multinationale que pour la culture de la planète.
L’incompréhension et la désinformation persiste néanmoins
Suite à son propos erroné, le Directeur général de la SPACQ, M. Pierre-Daniel Rheault, a avoué publiquement son manque de nuance devant la cinquantaine de participants à l’atelier. Chose appréciée.
Cependant, on a vu apparaître dès le lendemain ce mémo sur le site de la SPACQ (sans possibilité de commenter… le web 2.0, ça ne vous dit rien?!) qui laisse encore présager que la SOCAN et le Creative Commons seraient incompatibles :
En utilisant une licence CC, le créateur procède à une cession de son droit d’auteur quant à l’usage qui est fait de son œuvre. Les œuvres ne bénéficient plus de la protection conférée par la Loi sur le droit d’auteur en vigueur. À l’inverse, le créateur membre d’une société de gestion collective tel que la SOCAN ou la SODRAC renonce à autoriser l’usage des œuvres qu’il y déclare, et ne peut donc souscrire à une licence CC.
Cela est à mon avis – en partie – faux, puisqu’en utilisant une licence CC, le créateur procède à une cession de certaines parties de son droit d’auteur quant à l’usage qui est fait de son œuvre. Donc, les œuvres ne bénéficient plus de la pleine protection conférée par la Loi sur le droit d’auteur en vigueur. Ça dépend vraiment de la licence CC choisie.
Par exemple : le fait de «laisser aller» son droit de reproduction tout en conservant ses droits patrimoniaux (droit de faire du CA$H) ne veut pas dire qu’on abandonne systématiquement son droit d’exécution publique (droit de diffuser publiquement l’oeuvre).
Autre semi-vérité selon moi :
Les licences CC sont donc destinées à une exploitation gratuite et à grande échelle des œuvres, en permettant facilement à des tiers d’emprunter ces dernières.
Encore là, ça dépend de la licence que le créateur choisit pour son œuvre. La licence BY-NC-SA que Misteur Valaire a choisie permet le partage de ses œuvres gratuitement, mais empêche toutes autres sortes d’exploitation gratuite. C’est à mon avis réducteur de la part de la SPACQ de présenter la chose ainsi. En plus, le fait de laisser la planète se partager une toune n’enlève en rien la possibilité de demander à une agence de pub 25 000 $ pour l’utilisation de la toune à la télé, durant 13 semaines au Québec. Permettre le partage sans permettre l’exploitation commerciale, c’est plus que jamais possible avec Creative Commons.
De plus, cette phrase suivante m’irrite particulièrement, et je vais vous expliquer pourquoi par après :
[…] dans le cas d’une poursuite judiciaire contre le créateur, CC se dégage de toute implication. Il en est de même lorsqu’un mauvais usage est fait de l’œuvre du créateur et que ce dernier désire obtenir réparation. Il est donc certainement dans l’intérêt d’un individu d’adhérer à une société de gestion collective de droits d’auteur afin d’avoir une position avantageuse dans un tel cas.
Comme si la seule manière d’obtenir réparation pour une utilisation non respectueuse d’une licence était de se faire défendre par une société de gestion collective de droit d’auteur…!? Pourtant, envoyer une facture, une mise en demeure ou une demande de règlement à l’amiable est à la portée de tous. En tant qu’éditeur, je suis, la plupart du temps, laissé à moi-même pour collecter un droit de synchro non autorisé. Voici d’ailleurs un cas vécu :
Pour avoir vécu une situation où une chanson de Misteur Valaire (incluant un artiste collaborateur ayant droit membre de la SODRAC) avait été utilisée à des fins commerciales par un gros joueur canadien, sans notre consentement, je peux vous confirmer que l’enjeu #1 de la SODRAC dans ce cas précis était que le fait de poursuivre rapporterait moins que les frais encourus par la poursuite… Alors, lorsqu’une Société de gestion collective met ses intérêts financiers devant le principe de faire respecter le droit d’auteur, on part de loin en titi…
Pour vous dire, tout ça me donne quasiment envie de partir un système d’assurance juridique pour les créateurs dont les œuvres sont sous Creative Commons. Tant qu’à y être, si ça vous intéresse, manifestez-vous via ce formulaire.
Je ne suis pas contre qu’il y ait des Sociétés de gestion collective de droit d’auteur, mais il m’apparaît évident qu’elles doivent embrasser le Creative Commons et l’inclure dans leur collimateur, plutôt que de le voir en opposition au Droit d’auteur (comme c’est le cas de la SPACQ, visiblement).
Enfin, tant qu’à être en mode « dénonciation », j’en profiterais pour mentionner que lors de ma dernière rencontre en novembre 2011 avec la SODRAC (pour leur expliquer le « modèle » de Misteur Valaire et, conséquemment, pourquoi ils ne sont pas membres de la SODRAC), son Directeur général m’a dit : « Creative Commons, ça, c’est quoi… C’est une société de gestion? » Ma réponse : « Non monsieur le directeur; c’est un OUTIL juridique permettant à un créateur d’informer la collectivité sur ce qu’il est possible ou impossible de faire avec son œuvre. Le © véhiculant l’idée que “rien n’est possible” sans consentement, donc nécessairement accompagné de lourdes procédures de demandes, le CC devient alors une alternative intéressante dans un environnement Web, sauf qu’il permet le partage sans restriction de l’œuvre, à des fins commerciales ou non, ce qui est nécessairement incompatible avec la SODRAC. Voilà pourquoi Misteur Valaire n’est pas membre chez vous ».
Si les Sociétés de gestion collective de droits d’auteur refusent d’évoluer, le monde autour d’eux ne cessera pas de se révolutionner. Ça, c’est un fait indéniable.
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AVIS JURIDIQUE : Cet article ne doit en aucun cas être interprété comme un conseil juridique. Consultez un avocat en propriété intellectuelle pour obtenir des confirmations ou infirmations juridiquement valides quant à mes propos.
Cet article Le Creative Commons incompris par la SPACQ par Guillaume Déziel est mis à disposition de la collectivité selon les termes de la licence Creative Commons BY-NC-SA (Paternité – Pas d’utilisation commerciale – Partage des conditions initiales à l’identique 3.0 Unported). Toute autorisation au-delà du champ de cette licence peut être obtenue au www.guillaumedeziel.com/contact/.
Salut Guillaume,
J’ai envoyé il y a une semaine un billet sur le même thème sur mon propre site : http://fredericchiasson.com/article-102.html. Pour ce billet, j’avais fait une petite recherche sur Internet concernant les Creative Commons. Fait étonnant (et un peu rassurant), même l’Hadopi en France ne fait pas l’erreur que CC = cession complète des droits ou alternative «contre» le droit d’auteur.
Le plus intéressant était la discussion que nous avons eu avec Benoit Tétreault sur la page Facebook de musiQCnumériQC (https://www.facebook.com/groups/64540640147/). Après une grosse discussion, Benoit a écrit qu’il allait discuter à nouveau des Creative Commons au sein de la SPACQ, ce qui pourrait peut-être modifier leur position.
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