Le crowdfunding : prochaine étape?

Le 5 mai dernier, le journaliste Charles-Éric Blais-Poulain de La Presse+ publiait un article hautement documenté sur l’état des solutions de socio-financement au Québec, un article intitulé «Aux abonnés présents».

Dans cet article, on y retrouve des détails sur les campagnes de financement participatif de Louis-Jean Cormier (via sa plateforme 360), Pépé et sa guitare (sur Twitch), Sabrina Halde et Jay Scott (sur Patreon), Sarah Toussaint-Léveillé et Sabrina Halde, de même que l’auteure-compositrice interprète Safia Nolin (toutes sur Patreon aussi).

L’article relate aussi l’expérience des Valaire qui lançait leur plateforme «Ghoster» le 14 mai 2013.

À l’époque, Mr. Label, le label indépendant des Valaire (en tant qu’artiste «auto-producteur») n’avait droit à aucune subvention pour venir en aide au déploiement numérique de sa plateforme de socio-financement «Ghoster», dont le principe est décrit ici par les protagonistes. Ils ont donc dû financer d’eux-mêmes la création de la plateforme et la production éléments attrayants pour attirer les abonnés.

Deux mois après de lancement de la plateforme, plus de 200 fans étaient au rendez-vous à raison de 9$ par mois. Pour comprendre le phénomène et améliorer le tout, l’amie du groupe et stratège en marketing Isabelle Beauchemin avait offert (très gentiment et gracieusement par ailleurs) d’organiser un «focus group». Elle a ensuite produit une analyse marketing de 71 pages présentant les conclusions de ses recherches sur le concept développé par les Valaire et leur équipe de management.

L’aventure «Ghoster» a plafonné à environ 230 abonnés et permis aux Valaire de récolter 29 000 $ de revenus en 2 ans, tandis que les coûts de développement, sans aucune aide d’État disponible à l’époque – doit-on le rappeler – ont somme toute coûté autour de 30 000$.

Ceci dit, il n’y a pas que les revenus dans ce modèle. Ce genre de principe est fastidieux en terme de contrepartie à offrir aux fans. Obtenir 45$ par année ou 9$ par mois est la partie facile. Offrir de bons arguments aux fans pour demeurer abonnés est la partie plus chronophage et onéreuse.

De fait, 2 ans après avoir lancé la plateforme Ghoster, les Valaire se sentaient toujours et encore plus obligés de créer des contenus offerts en exclusivité ou en primeur à leurs fans. Ils avaient envie de se concentrer à faire leur album. Voilà la raison pour laquelle le groupe et leur équipe de gérance ont décidé de stopper l’opération.

Pour mettre fin à Ghoster, le groupe a averti les fans deux mois à l’avance, en invitant les gens à un dernier événement privilégié sur la Terrasse St-Ambroise et à se désabonner volontairement.

Un fait surprenant : au moment où on a dû fermer la plateforme, encore 1/3 des 233 abonnés étaient toujours présents. Des communications multiples, de masse et une-à-une aussi, ont eu lieu afin que les gens se désabonnent.

Cette opération de fermeture nous a permis de conclure que 2/3 des fans avaient choisi de supporter le groupe en espérant une contre-partie (accès aux lancements, premières, accès aux pré-ventes d’album, de concerts, accès aux after-parties, au party de Noël du groupe, etc); tandis qu’un 1/3 des adeptes étaient là pour eux, tout simplement. Pour «être» avec eux. Pour les aider. Pour les «faire-être». C’est ce qu’on a compris lorsqu’on a reçu des messages du genre, «ne me désabonnez pas svp !»

Somme toute, avec du recul, nous aurions dû à l’époque nous intéresser plus à Patreon (qui n’était pas encore très connu). D’ailleurs, de manière assez éditoriale, j’avancerais même ici personnellement que les bailleurs de fonds publics devraient plus s’intéresser à la compétition pré-existante des plateformes qu’ils financent… Et, de manière plus constructive et totalement désintéressée, j’avouerais que si c’était à recommencer aujourd’hui, plutôt que de mettre 30 000 $ sur le «contenant», on s’abonnerait à Patreon et mettrait 30 000 $ en marketing pour aller chercher 3 000 abonnés à raison de 5$ / mois. Ce qui serait d’expérience le juste prix, plus que 9$.

My 2 bitcoins.

Et la prochaine étape?

Fort de cette expérience, le futurologue en moi prédit que Louis-Jean Cormier et son équipe auront de la misère à transformer leur propre formule en plateforme disponible à d’autres.

Pour deux raisons :

La première étant que Patreon existe depuis longtemps; que ça prend des millions (et je ne niaise pas…) pour créer une plateforme permettant à ses utilisateurs de déployer d’eux-mêmes leur propre campagne de financement et de gestions des communications / primeurs, privilèges, etc.

La deuxième, c’est que ce genre de modèle est chronophage; il nécessite constamment de travailler à offrir la «contrepartie» à l’abonné. Pour certains artistes comme Pépé et sa guitare ou autres Twitchers ou Youtubers, qui créent de manière frénétique, spontanée, récurrentes et hautement fréquentes, ce modèle vaut vraiment, mais VRAIMENT sa chandelle. Mais pour d’autres, qui dépendent plus des subventions de l’État et qui sont sur un «beat» de production cadencé par un cycle industriel traditionnel (écriture, pré-production, production, post-production, lancement, rodage, première de spectacle, tournée… et on recommence), pour ceux-ci donc, il n’ont rien à offrir d’intéressant aux 66% des gens qui rechercheront rapidement la contrepartie… le deal.

Dans le monde des modèles d’affaires par abonnement, il existe un concept nommé le «churn» (ou le taux d’attrition, en français), qui illustre la proportion de clients perdus sur une période donnée. En d’autres termes, ce taux représente ceux qui «débarquent» de l’abonnement.

À la question «What’s in it for me» que 2/3 des gens se posent, avant de cliquer sur le bouton «Me désabonner», la réponse doit être claire, attrayante, régulière et facile à livrer, surtout, d’un point de vue de capacité de production chez l’artiste.

Or, le modèle de Louis-Jean donc (pour ne pas dire des Valaire 😉) répond très mal à la question «What’s in it for me»; puisqu’il exige beaucoup de l’artiste, en terme de contreparties à livrer.

Dans ce contexte, un modèle de crowdfunding répondant réellement au besoin de soutenir l’artiste chez 1/3 des fans ET au besoin de rentabilité chez l’autre 2/3, tout en étant non chronophage quant à la contrepartie à livrer, serait plus celui du socio-financement en échange d’une part sur les revenus à venir de l’artiste. Voilà où j’en suis rendu dans mes réflexions. Voilà ce que le pop-corn d’idées dans mon cerveau m’amène à partager avec vous, aujourd’hui.

Mais ça, c’est un tout autre sujet que je creuserai, ici (et non sur Facebook…), dans les mois à venir.

Promis.

G.

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