Les conflits d’intérêts systémiques de la sodec

Récemment, j’ai publié un article sur mon profil personnel Facebook qui cachait à peine (!) mon exaspération face aux conflits d’intérêts systémiques qui perdurent à la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (la «SODEC»).

Je prends donc la peine de recopier ci-dessous ce texte qui dénonce sans retenue le «patern» conflictuel que l’on retrouve dans les fondations mêmes de ce château fort des subventions destinés à nos industries culturelles; là où quelques «Rois de la montagne» s’avantagent, année après année, au détriment des nouveaux joueurs, de l’innovation et de la diversité culturelle.

La raison pour laquelle je mets autant de vigueur à dénoncer cette situation tient sur un constat désormais super clair; les artistes-entrepreneurs en musique, que l’on nomme aussi «autoproduits», sont désormais majoritaires.

Selon la SOPROQ, 56% des redevances perçues par cette sociétés de gestion collective de droits voisins aurait été versé à des artistes auto-producteurs en 2019-2020, soit une augmentation de 16% par rapport à l’année précédente. De plus, cette société de gestion déclarait dans le même rapport que 80% de ses 3917 sociétaires étaient des artistes auto-producteurs, tandis que 96% de ses nouveaux sociétaires sont, aussi, des autoproduits.

Écrasantes statistiques. Quand même…

Le rapport annuel 2020-2021 de la SOPROQ ne divulgue malheureusement pas de chiffres à jour en lien avec ses sociétaires qualifiés de «artistes auto-producteurs». Ironiquement, cette société de gestion qui se targue de promouvoir la «Transparence» comme valeur dans toutes ses communications a retiré les statistiques portant sur ses sociétaires auto-producteurs dans le dernier des rapports annuels disponibles… Possiblement parce que ces statistiques ont fait la une en Culture, reprises à souhait par les syndicats, l’ex-députée Christine St-Pierre en chambre dans une «motion à l’Assemblée nationale», quelques journalistes, moi-même et bien d’autres. De quoi alimenter le cynisme à l’endroit de cette organisation dont le seul et unique actionnaire est… l’ADISQ. Et l’ADISQ, faut-il le rappeler, est une association de «producteurs» qui – jusqu’à preuve du contraire et selon mon expérience – ne se préoccupe que très peu des artistes «auto-producteurs».

Pour revenir à cet article publié sur mon profil Facebook, j’y dévoile des détails chiffrés tirés de ma propre expérience à la tête de Mr. Label Inc., l’entreprise appartenant majoritairement à un groupe d’artistes auto-producteurs nommé (Misteur) Valaire. Un groupe devenu légende de l’électro-pop au Québec, tant pour la qualité de son travail artistique que ses projets et modèles avant-gardistes. Mais malgré son importance, ce band d’artistes-entrepreneurs n’a jamais cadré dans les critères des programmes de la SODEC rédigés par quelques «Rois de la montagne», critères excluant d’emblée les artistes-entrepreneurs. Platement.

Résultat ? Ce groupe a dû cesser ses activités de label, parce que fatalement et systématiquement forcé à signer en licence avec des «producteurs reconnus»… Voilà donc que l’icône même de l’autoproduction au Québec a dû se résigner à signer avec un des Rois de la montagne de la SODEC. 😞

C’est bien pour dire… Ce système, à mon avis, n’est ni plus ni moins qu’un stratagème forçant les artistes auto-produits à signer avec des «producteurs reconnus» qui ne se gênent pas de spolier quelques droits de l’artiste, au passage. Du moins, ils s’essayent quasiment tout le temps, pour avoir lu des dizaines d’ébauches de contrats d’artistes dans ma vie.

À la suite de cette publication sur Facebook, certains m’ont suggéré de transformer cette montée de lait bien sentie en sobre lettre d’opinion. Chose que j’ai faite.

Et cette lettre vient d’être publiée ce matin sur le site de lapresse.ca:

https://plus.lapresse.ca/screens/6fe1f2f4-2f20-42ea-a68d-8924e345e711%7C_0.html

Bonne lecture !


Revoici donc le «post» Facebook genèse de cette sortie médiatique :

Comme beaucoup d’autres, j’imagine, j’ai reçu les détails du nouveau programme de la SODEC «Programme d’aide à l’édition musicale 2022-2023» dont la date de tombée est le 4 novembre prochain :

https://sodec.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/programme-aide-edition-musicale-2022-2023.pdf?v=cbf701d05dc0e51f16b27c1eec462491&fbclid=IwAR26QaoXtl1E9nExcK6ph0SSx4FhsVP-GWdrgo0EIdFDqtVCdlBoLi4LEsE

À ma grande surprise (!), en parcourant les critères d’admissibilités du programme, je réalise encore une fois que ce programme (à l’instar de beaucoup d’autres en musique) a été designed «par et pour» les Rois de la montagne de cette industrie, ce au détriment des artistes auto-produits / auto-édités.

Je vous entends déjà penser dans votre tête «Bâàooon… Déziel est encore en train de chialer…». Et oui, je suis encore là pour dénoncer les inégalités entre les Rois de la montagne corporatifs et les artistes autoproduits (qui, ces derniers, sont désormais majoritaires). ¯\_(ツ)_/¯

De manière constructive, laissez-moi vous partager mes chiffres de 2013, l’année fiscale complétée avant que je quitte l’actionnariat de Mr. Label, en 2014. Un label qui était majoritairement constitué des membres de (Misteur) Valaire et qui faisait vivre 9 employé.e.s et des tonnes de contractuels.

Nous avions dès lors 82 880 $ de chiffre d’affaires en édition. 69 931 $, si on retranche les remixes et la musique de commande. Un montant principalement lié aux revenus de synchro (ça, c’est quand on place une toune dans un film, un documentaire, un vidéo Youtube, un jeu ou une pub… genre). Et nous faisions ce genre de chiffres d’affaires non seulement grâce aux tounes des Valaire (1), mais aussi de Qualité Motel (2), d’autres artistes collaborateurs en édition avec nous comme Beat Market (3).

Fait anecdotique : mon administrateur d’édition de l’époque m’a présenté en 2012 à une autre personne lors du cocktail des Rencontres de l’industrie de l’ADISQ comme «le King du placement synchro au Québec».

Sur le coup, j’avoue que ça a vraiment flatté mon gros égo. Mais après réflexions… ça m’a crissé par terre de réaliser que – si c’était nous les Kings – ça voulait aussi dire que les autres au Québec ne faisaient pas des masses de fric avec la synchro… par artiste. Ça faisait plutôt dur, en fait.

Mais là où le bât blesse, c’est que malgré le fait que nous étions les «Kings», nous n’aurions en 2013 pas satisfait totalement les critères d’admissibilité d’aujourd’hui, pensés par les Rois de la montagne de ce nouveau programme de la SODEC.

Puisque selon ce programme, pour être admissibles à un soutien financier, les entreprises doivent répondre aux conditions suivantes :

Avoir réalisé un chiffre d’affaires minimal (revenus bruts) de 50 000 $ (incluant les subventions) au cours de l’un des deux derniers exercices financiers complétés, et dont 20 000 $ en revenus bruts (excluant les subventions) provenant des activités d’édition musicale québécoises;

☑ Checked.

> 20 000 $. Ça, on le faisait en 2013. 69 931 $ bruts et sans subvention, en plus.

Continuons :

L’entreprise doit avoir trois (3) auteurs-compositeurs québécois différents sous contrat d’exclusivité, excluant les artistes actionnaires de l’entreprise, dont au moins un (1) nouveau au cours des deux (2) derniers exercices financiers (sous contrat au moins 6 mois avant la date de dépôt de la demande). L’entreprise qui répond à ce critère peut se qualifier à l’ensemble des activités décrites ci-dessous.

Failed.

Clairement designed pour tenir à l’écart les artistes auto-produits / auto-édités. Valaire et Qualité Motel étaient composées d’artistes actionnaires de l’entreprise. On était contaminé solide par les zartissssss. Il ne nous restait que Beat Market, un band ami autoproduit à l’époque, qu’on a voulu aider.

OU

L’entreprise doit détenir ou contrôler les droits d’un catalogue actif d’œuvres musicales québécoises, dont 10 nouvelles œuvres au cours du dernier exercice financier. L’entreprise qui répond à ce critère se qualifie uniquement aux activités de promotion/commercialisation et de gestion/administration.

☑ Checked

Cool, on se serait donc qualifié uniquement aux activités de promotion / commercialisation et de gestion / administration.

Mais à en comprendre cette phrase, on serait donc tombé à l’extérieur de la catégorie des «activités en développement de carrière», ce qui aurait exclus pour nous :

  • Développement de carrière d’auteurs-compositeurs
  • Versement de cachets et d’avances aux auteurs-compositeurs québécois
  • Honoraires professionnels versés à des Québécois
  • Frais de résidence de création ou ateliers de coécriture au Québec (ex. location d’équipement, salle)
  • Frais de formation ou de perfectionnement au Québec (ex. participation des auteurs-compositeurs québécois à des événements d’écriture)
  • Frais d’enregistrement de maquettes audio (ex. location de studio, musiciens, postproduction, ingénieurs, techniciens, réalisateurs);
  • Salaires et avantages sociaux liés aux activités de développement de carrière.

Ce qui fait que – malgré que notre business roulait 438 188 $ de chiffre d’affaires en 2013 – dont 69 931 $ en revenus admissibles – on n’aurait pas eu droit à un potentiel 50 000 $ en subs (dans la mesure où on en aurait dépensé autant… Et on pouvait !).

Bref, à la lumière de mon analyse de ce programme, je remarque que – ENCORE UNE FOIS – il est designed pour forcer les auteurs-compositeurs à signer avec des éditeurs qui sont parmi les Rois de la montagne. Et cela est sans dire que, la plupart du temps, ces Rois de la montagne s’essayent encore pas mal pour signer les oeuvres de ces créateurs mal informés «pour la durée légale du droit d’auteur» (i.e. : 50 ans après la mort, bientôt 70).

Plus ça change, plus c’est pareil…

Et ce malgré les bonnes paroles de la SODEC et de la ministre de la culture qui se font marionnetter, visiblement, par des lobbies de Rois de la montagne, bien au détriment des artistes auto-produits désormais majoritaires (mais assez désorganisés en terme de représentation gouvernementale, faut-il le rappeler).

Et pourquoi donc c’est comme ça?

Parce que la SODEC est designed de même. La SODEC, dans ses papiers fondateurs, doit créer et entretenir une Commission du disque, du spectacle et des variétés. Elle doit la consulter pour ériger ses programmes d’aide financière. Les gens qui y participent y sont nommés par la SODEC ; ils sont aussi bénéficiaires de ses subventions.

Allô le conflit d’intérêt?

Et est-ce que Nathalie Roy a changé ça dans son élan d’affection pour les pôvres petits zzzzzartistes? Neup.

Des paroles, des programmes, du cash canalisé vers les intermédiaires industriels, mais rien pour retirer le conflit d’intérêt «by design» qui condamne les petits zartisssss à signer avec les Rois de la montagne, à se faire souvent déshabiller de leurs droits si importants pour la suite.

Après tout, c’est de notre argent public dont il est question.

Et c’est pour ça que je ne me gêne pas une seconde de dénoncer, encore une fois, ce genre de situation aux apparences abusives.

Je ne vois pas pourquoi ça devrait être une minorité qui y ait accès à ce programme. Parce que, oui, (Misteur) Valaire, avec plus près de 500 000 $ de chiffre d’affaire en 2014, «était» une vraie entreprise culturelle avec des 9 employé.e.s à temps plein sur son «payroll» et, oui, cette entreprise était en mesure d’étendre son expertise à d’autres auteurs-compositeurs en manque de placements synchros.

Voilà. C’est dit.

Et désolé si je froisse du monde ici. Mais j’ai plus de monde à aider que de monde à froisser. Malheureusement.

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