POUR UNE CULTURE ACCESSIBLE ET ÉQUITABLE

Par Guillaume Déziel, Stratège en culture numérique

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MÉMOIRE DÉPOSÉ À L’ATTENTION DU GROUPE DE TRAVAIL SUR L’AVENIR DE L’AUDIOVISUEL AU QUÉBEC, LE SAMEDI 30 NOVEMBRE 2024, À 23 H 29.

Inspiré par de multiples rapports tablettés et d’idées merveilleuses qui dorment toujours, ce mémoire vise à « Garantir un cadre où chaque voix est entendue, chaque œuvre est valorisée, et où la culture québécoise peut pleinement jouer son rôle de moteur de fierté et d’identité collective »


À propos du déposant et de ses inspirations

Le présent mémoire est destiné au Groupe de travail sur l’avenir de l’audiovisuel au Québec, mandaté par le ministre de la Culture et des Communications pour proposer un plan d’intervention visant à assurer la pérennité, la qualité et le rayonnement du secteur audiovisuel québécois, tant au Québec qu’à l’international.

Il est soumis par Guillaume Déziel, un professionnel ayant consacré plus de 25 ans au domaine de l’audiovisuel. 

Son parcours débute comme ingénieur de son à la mise en ondes télé et radio, notamment pour TVA et Radio-Canada. Il a également travaillé à titre d’agent promotionnel pour des maisons de disques, dont Audiogram, et s’est illustré dans le monde numérique en participant à la promotion du premier site canadien de vente de contenu numérique en ligne, ainsi que du premier site québécois de diffusion en continu (streaming).

M. Déziel a occupé le poste de Directeur du développement des affaires chez Bell, où il se spécialisait dans l’acquisition et la distribution de contenus audiovisuels numériques. À titre de gérant et producteur du groupe (Misteur) Valaire, a également produit des documentaires, vidéoclips et albums musicaux, en coproduction avec des artistes autoproduits. Éditeur de musique et jadis enseignant en édition musicale (droit d’auteur), il a aussi œuvré en tant que responsable de produit pour le déploiement de plateformes web de distribution de contenus numériques, de partage de revenus et de création de métadonnées ouvertes et liées, en modèle SaaS.

M. Déziel a écrit plusieurs articles et lettres ouvertes portant sur nos conflits d’intérêts systémiques industriels en culture dont celle-ci : «Le monde a changé, l’industrie doit s’ajuster». Il a milité pour la place des artistes autoproduits en culture (Lettre à la ministre de la Culture : «Les artistes méritent plus que des bonbons» et «LES ARTISTES MÉRITENT PLUS QUE DES BONBONS», ROUND #2). Il a écrit aussi sur la grande problématique de l’accès à notre propre culture privatisée, qu’on se paie tous et toutes, à grands coups de subventions publiques : L’aspirateur américain.

Dans un contexte de désillusion prononcé devant l’inaction politique à l’égard des multiples rapports tablettés portant sur culture à l’ère numérique, M. Déziel a récemment diminué son rôle d’activiste dans l’industrie culturelle afin de se consacrer aux technologies de la blockchain, aux systèmes distribués et aux crypto-actifs. Il a récemment intégré l’industrie bancaire, où il occupe aujourd’hui un rôle d’expert conseil en développement d’application de lutte contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale, au sein d’une grande institution financière canadienne.

Animé par une dernière volonté (voire la force du désespoir) d’éviter un énième « jour de la marmotte » dans notre milieu culturel, M. Déziel remet aujourd’hui sa casquette de militant pour livrer le présent mémoire. Au passage et au bénéfice du GROUPE DE TRAVAIL SUR L’AVENIR DE L’AUDIOVISUEL AU QUÉBEC, il tient par la présente à remixer et à réitérer certains résultats notables issus d’une vaste consultation. Cette dernière, jadis initiée à l’automne 2010 par Christine St-Pierre, alors ministre de la Culture, a été menée auprès de plus de 739 professionnels de divers milieux culturels sur l’avenir de la culture québécoise à l’ère numérique. Au même rang que Jacques K. Primeau et Jean-Robert Bisaillon, M. Déziel a été parmi les plus impliqués et sollicités dans le cadre de cette grande réflexion culturelle à l’ère numérique. Ces travaux ont abouti à 57 recommandations, présentées en deux volets : 37 par le CALQ en novembre 2011 et 20 par la SODEC en octobre 2011. M. Déziel se fait donc aujourd’hui un devoir d’honorer cette mémoire et de rappeler cette intelligence collective.

Ces réflexions s’enrichissent aussi de récents échanges avec quelques centaines d’autoproducteurs signataires de la lettre ouverte «Le tapis rouge de l’asservissement», dont plusieurs sont encore et toujours membres actifs de l’AMOUR (L’Autoproduction Multisectorielle Organisée et Unie en Réseau), un réseau de militants témoignant de l’importance de la réalité de l’autoproduction en pleine croissance, dans un contexte culturel en mutation constante.

Ces réflexions se fondent aussi sur le document « Le virage numérique au Québec, secteur musique : recommandations en 6 thématiques » présenté à madame Christine St-Pierre, ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec, le 4 juin 2012. Ce document publié sous licence Creative Commons de type BY-SA avait été signé par Marie Martine Bédard, Jean-Robert Bisaillon, Frédéric Chiasson, Caroline Fontaine, Mathieu-Gilles Lanciault, Jean-François R. Ouellette, Sylvain Picard, Josée Plamondon, Benoit Tétreault et Guillaume Déziel.

Ces réflexions font aussi écho à la très clairvoyante présentation du Professeur Daniel Gervais de l’Université de Vanderbilt, lors du Forum Droit d’auteur à l’ère numérique, à HEC Montréal, le 12 mai 2016.

De plus, ces réflexions rendent hommage à quelques propositions novatrices jadis avancées et véhiculées par Jacynthe Plamondon-Émond dans nos coulisses industrielles, visant à réorienter nos subventions culturelles, en mettant le modèle du Crédit d’impôt au cœur de nos principes directeurs en production.

Ces réflexions se fondent aussi sur la transposition du principe de Fiducies d’utilité sociale (tel que le présente de manière plus générale le TIESS), qui a circulé dans le milieu culturel, en vue de créer une Fiducie de données. Dans un monde parallèle, je tiens à remercier Olivier Charbonneau, Docteur en propriété intellectuelle et bibliothécaire, pour avoir entamé une réflexion sur un modèle analogue, où le principe de Fiducie d’utilité sociale serait au cœur de la préservation et la valorisation de la propriété intellectuelle de nos contenus culturels. 

Puisque, au fond, il deviendra tôt ou tard essentiel, voire critique, pour notre collectivité de se poser vraiment la question « À quel moment un produit culturel doit devenir une œuvre culturelle ? ».

Veuillez en terminant noter que la majeure partie des réflexions déposées en guise de mémoire sont aussi grandement inspirées de la présentation Les $ub du futur, par Guillaume Déziel, lors du Forum Avantage numérique 2024, à Rouyn-Noranda. Vous êtes invités à visionner ce document en guise de complément : https://www.youtube.com/watch?v=uaOQITejpME

Introduction

La culture québécoise, moteur identitaire et sociétal, fait face à des défis persistants : accès limité aux œuvres, biais décisionnels et marchandisation excessive. Pour surmonter ces obstacles, ce mémoire propose une réflexion structurée autour de l’équité décisionnelle, financière et d’accès, afin de répondre aux besoins des créateurs, des producteurs et du public.

Ces enjeux ne sont pas nouveaux, mais ils nécessitent aujourd’hui une réponse audacieuse et adaptée aux réalités actuelles. La création d’une Fiducie d’utilité sociale de propriété intellectuelle pour préserver et valoriser les œuvres, l’introduction d’un modèle de contribution volontaire des Fournisseurs d’accès Internet (FAI), le réaménagement de la Loi sur la SODEC pour une gouvernance plus équitable, et l’élargissement du Crédit d’impôt pour encourager la prise de risque figurent parmi les propositions phares de ce mémoire.

La culture, tout comme l’économie, repose sur un équilibre fragile. L’écosystème culturel québécois, bien que riche et diversifié, est confronté à des enjeux systémiques qui limitent sa portée : barrières administratives à l’entrée, déséquilibres dans l’attribution des fonds publics, et difficile découvrabilité des œuvres. Ces défis entravent l’épanouissement de nos créateurs et le rayonnement de notre patrimoine collectif.

Pour répondre à ces défis, ce mémoire articule sa réflexion autour de trois axes fondamentaux :

  1. L’équité décisionnelle : réformer les mécanismes de gouvernance pour favoriser la neutralité et la diversité.
  2. L’équité financière : soutenir les créateurs et producteurs à travers des modèles innovants de financement.
  3. L’équité d’accès : rendre les œuvres subventionnées accessibles à tous et valoriser leur découvrabilité.

En misant sur ces solutions, ce mémoire propose une transformation ambitieuse, mais réalisable, de notre écosystème culturel. L’objectif est clair : garantir un cadre où chaque voix est entendue, chaque œuvre est valorisée, et où la culture québécoise peut pleinement jouer son rôle de moteur de fierté et d’identité collective. Il est temps pour les acteurs culturels et institutionnels de collaborer pour transformer ces idées en actions concrètes.

1. L’équité décisionnelle : pour une gouvernance inclusive

Les défis actuels

La Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) joue un rôle central dans le soutien et la promotion de la culture québécoise. Cependant, des préoccupations ont été soulevées concernant des conflits d’intérêts systémiques au sein de cette institution. Selon plusieurs autoproducteurs (tous secteurs disciplinaires confondus), la structure actuelle de la SODEC permet à des individus ayant des intérêts directs dans l’attribution des subventions de siéger au sein des commissions sectorielles. Ces commissions, chargées de conseiller la SODEC sur les programmes à mettre en place, peuvent ainsi être influencées par des bénéficiaires potentiels, créant un environnement propice aux conflits d’intérêts.

De plus, la Loi sur la SODEC actuelle n’exige pas que les membres du conseil d’administration ou des commissions sectorielles soient rémunérés. Cette absence de rémunération peut inciter des individus à participer à ces organes décisionnels pour des avantages indirects, tels que l’orientation des programmes de subvention en faveur de leurs propres intérêts ou de ceux de leurs proches.

Propositions pour une gouvernance de la SODEC réformée :

Pour remédier à ces défis et instaurer une gouvernance plus équitable, plusieurs mesures peuvent être envisagées :

  • Exclusion des bénéficiaires directs : Modifier la législation afin de renforcer l’obligation de se soustraire à certaines discussions ou demandes de subvention, lorsque le conflit d’intérêt est apparent. Possiblement interdire aux bénéficiaires potentiels de subventions de siéger au sein des organes décisionnels de la SODEC. Cette mesure garantirait une indépendance accrue et réduirait les risques de conflits d’intérêts.
  • Rémunération des membres : Introduire une rémunération pour les membres du conseil d’administration et des commissions sectorielles. Cette rémunération reconnaîtrait leur travail et réduirait les motivations liées à des avantages indirects.
  • Représentation diversifiée : Assurer une représentation équilibrée au sein des organes décisionnels en incluant des experts universitaires, des acteurs de la société civile et des créateurs indépendants. Cette diversité garantirait une pluralité de perspectives et une meilleure compréhension des réalités du milieu culturel.
  • Transparence et données ouvertes : Publier les décisions, les critères d’attribution et les procès-verbaux des réunions des organes décisionnels. Cette transparence permettrait au public et aux acteurs du milieu culturel de comprendre les processus décisionnels et de s’assurer de leur impartialité.

Pour améliorer l’équité et la transparence au sein de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), il est recommandé de modifier les articles suivants de la Loi sur la SODEC :

5. La Société est administrée par un conseil d’administration composé de 15 membres nommés par le gouvernement, dont le président du conseil et le président-directeur général.La nomination des membres du conseil, autres que le président de celui-ci et le président-directeur général, s’effectue après consultation d’organismes que le ministre considère comme représentatifs des milieux concernés par les activités de la Société. Quatre de ces membres se répartissent comme suit :
1°  une personne oeuvrant dans le domaine de l’audiovisuel;2°  une personne oeuvrant dans les domaines de la musique ou du spectacle;3°  une personne oeuvrant dans les domaines du livre ou de l’édition;4°  une personne oeuvrant dans les domaines des métiers d’art ou du marché de l’art.1994, c. 21, a. 5; 2007, c. 13, a. 1; 2022, c. 19, a. 310.

L’article 5 concerne la constitution du Conseil d’administration de la SODEC. Sachant que l’autoproduction occupe désormais une place prépondérante dans plusieurs secteurs, il serait important de mentionner que cette constitution doit respecter le ratio qu’occupe l’autoproduction versus la production traditionnelle. Par exemple : 

  • une personne oeuvrant dans le domaine de l’audiovisuel;
  • une personne oeuvrant à titre d’autoproducteur dans le domaine de l’audiovisuel;
  • une personne oeuvrant dans les domaines de la musique ou du spectacle;
  • une personne oeuvrant à titre d’autoproducteur dans les domaines de la musique ou du spectacle;
  • une personne oeuvrant à titre d’auteur auto-édité dans les domaines du livre ou de l’édition;
  • une personne oeuvrant dans les domaines des métiers d’art ou du marché de l’art.
  • une personne oeuvrant à titre d’artisan autoproduit dans les domaines des métiers d’art ou du marché de l’art.
29. Le Conseil et chacune des Commissions sont composés:
1°  d’un président, choisi au sein du conseil d’administration de la Société parmi les personnes oeuvrant dans le domaine de compétence du Conseil ou de la Commission, nommé par le gouvernement sur proposition du ministre;2°  de membres nommés par la Société après consultation d’organismes qu’elle considère comme représentatifs des milieux concernés par le domaine de compétence du Conseil ou de la Commission.Le nombre de membres du Conseil et de chacune des Commissions est déterminé par règlement de la Société, mais il ne peut être inférieur à cinq.1994, c. 21, a. 29.

L’article 29 concerne la composition des commissions sectorielles. Il serait pertinent d’y ajouter une clause stipulant que les bénéficiaires actuels ou potentiels des subventions de la SODEC ne peuvent siéger dans ces commissions, afin d’éviter tout conflit d’intérêt.

31. Les membres du Conseil et ceux d’une Commission ne sont pas rémunérés, sauf dans les cas, aux conditions et dans la mesure que peut déterminer le gouvernement. Ils ont cependant droit au remboursement des dépenses faites dans l’exercice de leurs fonctions, aux conditions et dans la mesure que détermine le gouvernement.

L’article 31 traite de la rémunération des membres de toute Commission sectorielle. Il serait judicieux d’introduire une rémunération pour les membres des Commissions sectorielles. Cette rémunération reconnaîtrait leur travail et réduirait les motivations liées à des avantages indirects.

24. La Société peut notamment, pour l’exercice de ses attributions :
1°  conclure, conformément à la loi, une entente avec un gouvernement autre que celui du Québec, l’un de ses ministères, une organisation internationale ou un organisme de ce gouvernement ou de cette organisation;2°  former des comités chargés d’apprécier les demandes soumises dans le cadre des programmes d’aide financière visés à l’article 20 et déterminer leurs règles de fonctionnement;3°  former, en outre de celles prévues au chapitre III, des commissions consultatives en vue de faciliter l’exécution de la présente loi et déterminer leurs attributions ainsi que leurs règles de fonctionnement.Tout comité visé au paragraphe 2° est formé de personnes oeuvrant dans le domaine d’activité visé par le programme d’aide financière en cause. Elles ne peuvent être membres du conseil d’administration de la Société, du Conseil ou d’une Commission visé au chapitre III, ni du personnel de la Société ou de la fonction publique. Les contrats d’engagement des membres des comités doivent contenir des règles d’éthique.Le gouvernement détermine la rémunération des membres des comités visés au paragraphe 2°; les membres des commissions visées au paragraphe 3° ne sont pas rémunérés sauf dans les cas, aux conditions et dans la mesure que peut déterminer le gouvernement. Les uns et les autres ont droit au remboursement des dépenses faites dans l’exercice de leurs fonctions, aux conditions et dans la mesure que détermine le gouvernement.Ces comités et commissions peuvent tenir des séances à tout endroit au Québec.1994, c. 21, a. 24.

L’article 24 permet à la SODEC de former des comités pour évaluer les demandes d’aide financière. Il serait approprié d’y intégrer une clause interdisant aux membres de ces comités d’avoir des intérêts directs ou indirects dans les entreprises culturelles susceptibles de recevoir des subventions, garantissant ainsi une évaluation objective des demandes.

Ces modifications visent à renforcer la gouvernance de la SODEC en assurant une séparation claire entre les décideurs et les bénéficiaires. En mettant en œuvre ces mesures, la SODEC renforcerait sa crédibilité et assurerait une distribution plus équitable et transparente des ressources, favorisant ainsi un écosystème culturel plus inclusif et diversifié.

2. L’équité financière : encourager la prise de risque créatif et économique

Les limites du financement actuel

Les subventions actuelles favorisent souvent les grands acteurs bien établis, laissant peu de place aux créateurs ou autoproducteurs émergents. Par ailleurs, la lourdeur administrative des demandes de subventions décourage de nombreux petits joueurs, en particulier ceux issus de groupes sous-représentés.

Le crédit d’impôt comme nouveau modèle de financement culturel

Il est essentiel de redéfinir les rôles respectifs des Conseils des arts et de la SODEC afin de clarifier leurs mandats. Les Conseils des arts se concentreraient sur l’incubation et la prise de risque créatif, en soutenant les projets de création pure, par des bourses jugées par des pairs. La SODEC, quant à elle, se consacrerait à l’accélération, en appuyant la production et la commercialisation via des crédits d’impôt proportionnels aux dépenses engagées, avec des critères d’admissibilité clairs et une vérification comptable adaptée selon l’ampleur des projets.

Le crédit d’impôt se distingue des subventions traditionnelles par sa flexibilité et sa capacité à encourager l’investissement direct dans les projets culturels. Contrairement aux subventions, souvent octroyées selon des processus compétitifs et parfois subjectifs, le crédit d’impôt repose sur des critères clairs et mesurables, offrant un soutien proportionnel aux dépenses engagées. Cela permet aux artistes et producteurs de mieux planifier leurs activités sans dépendre des résultats d’une sélection à jury. De plus, ce mécanisme incite à une prise de risque économique responsable, en récompensant directement les efforts et les investissements réels, tout en réduisant la dépendance à des financements globaux ou récurrents. En alignant les intérêts des acteurs culturels avec les objectifs économiques, le crédit d’impôt favorise un écosystème culturel plus dynamique et transparent.

Dans ce modèle, toute activité liée à la production ou à la commercialisation serait financée exclusivement par la SODEC, que ce soit pour des artistes autoproduits ou des producteurs établis. Par exemple, un producteur investissant 20 000 $ pour réaliser un projet pourrait recevoir un remboursement à hauteur de 50 %, soit 10 000 $ en crédits d’impôt. Cette approche assure un soutien équitable basé sur l’investissement réel et offre les mêmes opportunités à tous les intervenants du milieu culturel.

Ce modèle élimine les chevauchements entre organismes, améliore la transparence dans l’utilisation des fonds publics et aligne les financements avec des objectifs mesurables comme la création d’emplois et l’innovation. En liant le soutien public à la prise de risque économique et créatif, ce modèle réduit les critiques, tout en renforçant la crédibilité et l’efficacité du financement gouvernemental dans le secteur culturel.

Favoriser les licences ouvertes par un financement majoré

Dans l’esprit du principe « Argent public, culture publique », il serait pertinent d’ajuster l’octroi des subventions et des aides à la production en fonction des licences de mise à disposition choisies. Une licence permissive, permettant un accès élargi et une réutilisation accrue des œuvres, mériterait un soutien financier accru, car elle contribuerait davantage au dynamisme culturel et à l’enrichissement du domaine public. 

En d’autres termes : plus un créateur / producteur est généreux de son produit avec la le public, plus le public est généreux avec le créateur /producteur.

Du côté des Conseils des arts, les œuvres diffusées sous des licences plus permissives, telles que les licences Creative Commons, pourraient bénéficier de bourses bonifiées. À titre d’exemple, une œuvre rendue accessible sous licence (CC) BY pourrait recevoir une majoration de 25 % des montants alloués, en comparaison avec une œuvre dont la propriété intellectuelle demeure entièrement exclusive au créateur (© Tous droits réservés).

Du côté de la SODEC, les produits culturels publiés sous des licences plus permissives pourraient également bénéficier de crédits d’impôt majorés. Par exemple, un producteur choisissant de conserver l’exclusivité d’exploitation sous un régime « © Tous droits réservés » pour les sept (7) premières années suivant la publication, tout en s’engageant à rendre le produit accessible au public sous licence (CC) BY par la suite, pourrait bénéficier d’une bonification de 25 % sur le remboursement de ses dépenses admissibles, accordée sous forme de crédits d’impôt.

Cette approche – dont la gradation demeure à être réfléchie et peaufinée – renforcerait la cohérence entre le financement public et l’accès élargi aux œuvres, tout en stimulant l’innovation, la diffusion, et la réutilisation des contenus culturels (à des fins éducatives ou récréatives) à l’échelle nationale et internationale.

Favoriser l’inclusion par des mécanismes de discrimination positive

Pour renforcer l’équité et la diversité culturelle (comme les Premières nations ou minorités visibles), des mécanismes spécifiques de discrimination positive pourraient être instaurés afin d’encourager plus généreusement les projets issus de communautés marginalisées ou ancestrales. Par exemple, ces projets pourraient bénéficier d’une bonification supplémentaire de 10 % à 20 % sur les crédits d’impôt ou les bourses allouées, en reconnaissance des défis particuliers auxquels ces communautés font face. Ce soutien accru contribuerait à promouvoir leur rayonnement, à préserver leur patrimoine, et à enrichir la scène culturelle avec des perspectives uniques et essentielles à une représentation plus inclusive.

3. L’équité d’accès : rendre la culture accessible

Malgré les investissements publics dans la culture, un grand nombre d’œuvres et de produits culturels demeurent inaccessibles, limitant ainsi le rayonnement des artistes et privant le public d’un accès élargi à la diversité culturelle.

Propositions pour une accessibilité accrue

  • Politique « Argent public = culture publique » : Toute œuvre financée par des fonds publics devrait être rendue accessible au public via des plateformes numériques ouvertes ou des canaux de diffusion démocratiques (BAnQ numérique, TOU.TV, Télé-Québec, Cinémathèque québécoise) comme condition essentielle à l’octroi de subventions.
  • Favoriser la découvrabilité : Développer des outils numériques pour standardiser et ouvrir les données culturelles ((méta)données ouvertes et liées), afin de faciliter la recherche et améliorer la visibilité des œuvres québécoises. 
  • Encourager des partenariats d’affaires locaux : Par exemple, les entreprises locales, comme les télécommunications ou les banques, pourraient promouvoir des œuvres musicales québécoises en remplaçant les musiques d’attente génériques par des compositions locales, créant ainsi une vitrine culturelle tout en revalorisant l’expérience client. 
  • Fonder une fiducie d’utilité sociale : Créer une fiducie d’utilité sociale ayant pour double mission de rendre accessibles et de monétiser, à travers tous les modèles d’affaires disponibles, les contenus culturels financés en partie ou en totalité par des fonds publics, à partir d’un certain délai défini (« moment T »). Par exemple, si je reçois des subventions pour la création, la production et la commercialisation de mon œuvre, j’en conserve les droits commerciaux exclusifs pendant 7 ans. Passé ce délai, la fiducie d’utilité sociale prend en charge l’exploitation commerciale de l’exécution publique de mon œuvre dans des canaux payants. Je conserve néanmoins mes droits moraux, incluant le pouvoir de refuser toute utilisation ou association de mon œuvre avec des produits, services ou entités ne correspondant pas à mes valeurs.
  • Monétisation des usages non commerciaux : Après un délai défini (« moment T »), les œuvres subventionnées pourraient être accessibles à des usages non commerciaux, renforçant l’accès culturel pour le public tout en enrichissant le patrimoine collectif.

Une fiducie d’utilité sociale gérerait ces œuvres « ouvertes », en garantissant leur accessibilité tout en monétisant leurs droits dans les canaux commerciaux traditionnels. Les revenus générés seraient réinvestis dans de nouvelles productions culturelles, assurant un cycle durable de financement et de création. Ce modèle équilibrerait l’ouverture des œuvres et la gestion des droits d’auteur, offrant aux créateurs des subventions avantageuses tout en favorisant l’accès et le dynamisme culturel.

La Fiducie d’utilité sociale : un modèle pour un écosystème culturel équitable

Idée lancée par Olivier Charbonneau, Bibliothéconomiste et Docteur en Droit d’auteur, le concept de Fiducie d’utilité sociale de propriétés intellectuelles propose une solution innovante pour garantir l’accès collectif aux œuvres culturelles tout en soutenant leur financement et leur pérennité. Ce modèle reposerait sur le dépôt volontaire d’œuvres par les créateurs, en échange d’un soutien financier initial plus généreux, notamment pour celles diffusées sous licences ouvertes. 

Par exemple, une oeuvre cinématographique pourrait, après 7 ans d’exploitation commerciale exclusive à son producteur / distributeur, être automatiquement cédée à la Fiducie sociale qui en assurerait la pérennité d’accès (en collaboration des services publiques comme la BAnQ, la Cinémathèque Québecoise, etc.) et l’exploitation (en collaboration avec des plateformes commerciales comme Éléphant, TOU.TV, Télé-Québec, Netflix, Crave, Amazon Prime, etc.).

La fiducie gérerait ces œuvres pour maximiser leur découvrabilité et leur exploitation (grâce à un outil de production de métadonnées/données descriptives, standardisé et en code source ouvert), exploitation tant sur des plateformes numériques que dans des contextes éducatifs, communautaires ou récréatif (mashup, remix, parodie, etc). Les revenus générés seraient réinvestis dans la création culturelle, créant ainsi un cercle vertueux pour enrichir le patrimoine collectif.

Les sources de financement de la fiducie incluraient des contributions publiques et privées, ainsi qu’un modèle volontaire impliquant les Fournisseurs d’accès Internet (FAI), tel qu’expliqué plus bas. Ces derniers pourraient appuyer financièrement la fiducie en partenariat avec leurs clients, qui auraient la possibilité de contribuer via leur facture mensuelle. En retour, la fiducie garantirait un accès équitable aux œuvres financées par des fonds publics et encouragerait la circulation de contenus ouverts et permissifs, renforçant ainsi l’impact éducatif, social et culturel des œuvres déposées.

Ce modèle bénéficierait à toutes les parties prenantes : les créateurs gagneraient en visibilité et en soutien financier, les FAI amélioreraient leur image publique en s’engageant dans un partenariat culturel, et la collectivité profiterait d’un accès élargi à sa propre culture. 

En alignant les objectifs des institutions culturelles, des créateurs et des acteurs technologiques, la Fiducie d’utilité sociale pourrait devenir un levier stratégique pour un écosystème culturel plus inclusif et durable.

Fournisseurs d’accès Internet dans le soutien à la culture : Une solution volontaire et participative

Les Fournisseurs d’accès Internet (FAI) occupent une position centrale dans l’écosystème numérique. En tant que transporteurs de contenus, ils monétisent chaque interaction culturelle qui transite dans leurs infrastructures, qu’il s’agisse de films, de musique, de jeux vidéo ou d’autres formes de médias. Pourtant, ces revenus substantiels ne se traduisent pas par une contribution directe à la création ou à la régénérescence de la vitalité culturelle qu’ils exploitent. 

Depuis plus de deux décennies, les FAI sont catalogués comme des «mauvais joueurs», perçus comme avares et insensibles aux besoins des créateurs. Malgré les appels répétés des industries créatives et des décideurs publics pour les inclure dans un modèle durable de soutien à la culture, les FAI ont régulièrement échappé à tout essai de contribution obligatoire. Notamment depuis que le Gouvernement Harper a modifié la Loi sur le Droit d’auteur de manière à les porter au rang d’intermédiaires neutres, donc intouchables.

Ainsi, il serait vertueux de transformer cette dynamique en introduisant un nouveau modèle volontaire de collaboration qui profiterait à la fois aux FAI et à l’écosystème culturel.

Plutôt que d’imposer des mécanismes coercitifs qui risqueraient de rencontrer une forte opposition juridique de la part des FAI, il serait judicieux d’explorer un programme basé sur le volontariat. Ce modèle inviterait les clients des FAI à contribuer directement à la production culturelle via leur facture mensuelle, tout en permettant aux FAI de renforcer leur image de marque grâce à un engagement actif dans le soutien à la culture.  Voici les bases du programme suggéré :

  1. Contribution volontaire des clients – Les consommateurs auraient la possibilité d’ajouter un montant symbolique, par exemple 1 $ ou 2 $, à leur facture mensuelle d’Internet. Ces fonds seraient dédiés à un fonds culturel national ou provincial, destiné à financer la production et la diffusion de nouvelles œuvres.
  2. Participation des FAI – Pour chaque dollar versé par un client, le FAI pourrait égaler cette contribution, doublant ainsi l’impact financier. Cette participation positionnerait les FAI comme des acteurs responsables et engagés dans le soutien à la culture.
  3. Redistribution des fonds – Les fonds collectés seraient d’abord reversés à la fiducie d’utilité sociale, qui – à son tour – distribuerait le tout aux créateurs par l’intermédiaire de sociétés de gestion collective comme, nommément, la SOCAN, la SOCAN DR, la SOPROQ ou ARTISTI, voire même certains Conseils des arts.

Un avantage stratégique pour les FAI

L’adoption d’un programme volontaire de soutien à la culture par les Fournisseurs d’accès Internet (FAI) représente une occasion stratégique de transformer une critique persistante en avantage concurrentiel. En s’engageant activement dans le financement de la production culturelle, les FAI pourraient non seulement améliorer leur image publique et se différencier sur un marché concurrentiel, mais aussi répondre aux attentes croissantes d’une société exigeant plus de responsabilité sociale de la part des entreprises.

Ce programme offrirait aux FAI un positionnement fort en tant qu’alliés de la culture et de l’industrie culturelle, renforçant leur pertinence auprès des consommateurs. En fidélisant leur clientèle et en établissant des liens émotionnels grâce à un engagement tangible, les FAI pourraient aussi mettre en avant leur rôle dans des campagnes publicitaires et des communications stratégiques, valorisant leur contribution à la diversité culturelle et à la créativité. Cette initiative constituerait ainsi un levier majeur pour améliorer leur acceptabilité sociale et leur attractivité auprès d’un public attaché à des valeurs d’engagement.

En conclusion, ce programme ne serait pas seulement une façon innovante de financer la culture, mais aussi une démonstration concrète des avantages d’un partenariat public-privé. Il contribuerait à bâtir un écosystème culturel plus durable et accessible, où chaque acteur joue un rôle actif dans la valorisation et la préservation de notre patrimoine collectif.

En conclusion

L’avenir de la culture québécoise repose sur sa capacité à relever les défis actuels en adoptant des solutions innovantes, inclusives et équitables. Les trois axes explorés dans ce mémoire — équité décisionnelle, financière et d’accès — forment une base essentielle pour revitaliser notre écosystème culturel et garantir sa pérennité dans un monde en mutation. 

Pour instaurer un système plus juste, il est crucial de repenser les mécanismes décisionnels pour assurer une neutralité et une diversité réelles, tout en valorisant la prise de risque économique et les œuvres ouvertes afin de libérer le potentiel créatif de nos créateurs et enrichir notre patrimoine collectif.

Des initiatives comme la Fiducie d’utilité sociale et les partenariats avec les Fournisseurs d’accès Internet offrent des solutions concrètes pour pérenniser l’accès à la culture et mobiliser des ressources financières durables. Ces transformations nécessitent l’engagement collectif des créateurs, institutions publiques, entreprises technologiques et citoyens pour bâtir un cadre où chaque voix est entendue, chaque œuvre est accessible, et où la culture devient un moteur de fierté et d’identité.

En conclusion, il ne s’agit pas seulement d’adopter de nouvelles politiques, mais de réaffirmer une vision partagée : celle d’une culture accessible, audacieuse et durable, qui reflète les valeurs d’inclusion, de créativité et de justice au cœur de l’identité québécoise

Le Québec a les talents et les outils nécessaires pour relever ce défi. Il est temps de transformer ces idées en réalité et d’offrir à notre culture une place de choix dans l’avenir collectif.


ANNEXE 

Les licences Creative Commons

La durée du droit d’auteur varie d’un pays à l’autre. Elle oscille entre 50 et 70 ans après la mort du dernier créateur. Après quoi, l’œuvre s’ajoute au «domaine public», un lieu virtuel où se retrouvent des œuvres dont l’utilisation n’est désormais plus restreinte par la loi. Les licences Creative Commons (CC) permettent à un créateur de se départir volontairement de certaines parties son droit d’auteur. En phase avec la réalité du Web où la copie est synonyme de partage, l’ensemble des licences CC permettent le partage de l’œuvre. Certaines licences permettent aussi la reprise des œuvres par d’autres créateurs pour la confection de nouvelles œuvres (remixes), sans crainte de violation du droit d’auteur d’autrui. Cette licence favorise la circulation de la culture et cadre parfaitement avec la réalité numérique. Enfin, certaines licences CC permettent à l’auteur de conserver l’exclusivité d’exploitation commerciale de son œuvre.  Pour en savoir plus, consultez cet article : 

Décerner les bourses selon la licence

Dans un souci de stimuler l’adoption des licences Creative Commons par les créateurs et les producteurs, il est envisageable d’octroyer des bourses de création et des subventions d’aide à la production en fonction de la licence de mise à disposition choisie. Ainsi, une licence permissive mériterait une plus grande aide financière, car l’auteur contribuerait davantage au dynamisme de la culture et à la santé du domaine public. Une licence restrictive (ou encore « © Tous droits réservés») mériterait une bourse moindre, car le créateur préfère réduire volontairement la circulation de son œuvre pour en contrôler sa monétisation. Nous pouvons alors envisager différents paliers de bourse ou de Crédits d’impôts, en fonction des types de licences.  Voici un exemple fictif (qui date un peu….) de mise en application d’une telle mesure.

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